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samedi, 23 octobre 2010

Edgar-P. Jacobs (1904-1987): un maître de la "littérature dessinée"

EDGAR–P.JACOBS (1904-1987) : UN MAÎTRE DE LA « LITTERATURE DESSINEE »

A Clément Degeneffe (1939-1959)

Peu de temps avant sa tragique disparition dans un accident de voiture, ce cousin germain (du côté de ma maman) m’offrit l’album La Marque Jaune d’Edgar-P.Jacobs.

Dans l’Angleterre automnale des années 1950, le récit commence en des termes qui auraient pu me faire pressentir qu’un jour on parlerait, non plus de « bande dessinée », mais de « littérature dessinée ».

« Big Ben vient de sonner une heure du matin. Londres, la gigantesque capitale de l’Empire britannique, s’étend, vaste comme une province, sous la pluie qui tombe obstinément depuis la veille. Sur le fond du ciel sombre, la tour de Londres, cœur de la « City », découpe sa dure silhouette médiévale ».

J’avais 12 ans, j’étais familier d’Hergé et des scénaristes et dessinateurs du journal Tintin, mais je ne me rappelais aucune pareille élégance stylistique, sauf peut-être chez Cuvelier et ses aventures de Corentin, dont un autre cousin (du côté paternel cette fois) m’avait fait aussi cadeau d’un album.

Jacobs-photoEdgar-P.Jacobs naît le 30 mars 1904. Ses parents habitent alors dans le quartier du Sablon, non loin du Conservatoire de Bruxelles, dont il deviendra un brillant élève. Il exercera notamment ses talents de chanteur lyrique à Lille. Son expérience scénique et musicale lui servira dans sa technique ultérieure du dessin. Qu’on se rappelle par exemple l’épisode de La Marque Jaune où le malfaiteur marche sur un câble et apparaît dans la clarté du projecteur que les policiers braquent sur lui. Un biographe de Jacobs résume son œuvre dessinée en un « opéra de papier ».

Tout au long de son parcours dans les écoles laïques (primaires et secondaires) et dans l’enseignement supérieur artistique, Jacobs noue des relations très étroites avec Van Melkebeke et Laudy. Les trois jeunes gens deviennent d’inséparables amis pour la vie. Jacques Van Melkebeke est un touche-à-tout très doué qui tombe en disgrâce après 1945 pour avoir collaboré à un journal contrôlé par l’occupant. Jacques Laudy, fils du portraitiste de la famille royale, également auteur de bande dessinée (Les Aventures d’Hassan et Kaddour), est surtout connu pour son attachement au style de vie d’autrefois et son opposition à la modernité assimilée à une décadence.

En 1942, Jacobs s’associe avec Hergé, dont il colorie les albums narrant les exploits de Tintin. Les deux hommes se brouillent rapidement et Jacobs vole de ses propres ailes à partir de 1946. Dans le Triptyque Le Secret de l’Espadon, il met pour la première fois en scène les personnages du capitaine Blake (qui ressemble physiquement à Laudy) et du professeur Mortimer (qui revêt les traits de Van Melkebeke), tandis que lui-même s’incarne dans le visage d’Olrik, le malfaiteur récurrent.

La collaboration de Jacobs et d’Hergé incite certains historiens de la B.D. à classer Jacobs dans l’école de la « ligne claire ». C’est inexact. La prédominance du noir est particulièrement visible dans La Marque Jaune et ses nombreuses péripéties automnales et nocturnes, tandis qu’Hergé produit avec Tintin au Tibet un album envahi par la couleur blanche comme les neiges de l’Himalaya, c’est-à-dire de tendance esthétique tout à fait à l’opposé de celle de Jacobs.

L’immédiat après-guerre et les années de « guerre froide » constituent l’arrière-plan historique de l’œuvre de Jacobs et expliquent pourquoi ses deux héros sont britanniques et l’antagonisme Orient-Occident est présenté à l’avantage du second. Dans Le Secret de l’Espadon, l’Ouest est menacé par un empire oriental centré sur Lhassa. Dans S.O.S. Météores, des espions au service de l’Est préparent une conquête de l’Europe à la faveur d’une apocalypse climatique.

Dans La Marque Jaune, dont je propose à présent une lecture approfondie, Blake et Mortimer forment plus que jamais un couple complémentaire. L’un illustre l’action, l’autre le savoir. Mais il ne s’agit pas d’une vision dualiste, car Philip Mortimer n’hésite pas à prendre des risques physiques et il arrive à Francis Blake de prendre de la hauteur par rapport aux événements et de les synthétiser en une théorie.

Jacobs-grande pyramideComme chez Hergé et la plupart des premiers collaborateurs du journal Tintin (fondé en 1946), la femme tient peu de place dans le petit monde de Blake et Mortimer. Ce dernier utilise la concierge Miss Benson pour éloigner les importuns. Notons néanmoins la douceur de Madame Calvin, l’épouse du juge, qui tente de persuader son mari de se laisser protéger par la police.

Miss Benson joue aussi le rôle de gouvernante pour les deux héros qui partagent le même appartement. Le procédé est utilisé par d’autres grands auteurs de polars : Conan Doyle et Agatha Christie. Le couple Blake-Mortimer est analogue aux tandems Holmes-Watson et Poirot-Hastings, avec cette importante différence : l’un des deux éléments de la paire ne sert pas de faire-valoir à l’autre. Blake et Mortimer fonctionnent sur un strict pied d’égalité, alors que Sherlock Holmes ironise au détriment du docteur Watson et qu’Hastings est le souffre-douleur d’Hercule Poirot.

Au niveau du suspense, et pour comparer avec des séries télévisées bien connues, La Marque Jaune est plus proche des enquêtes de Columbo (où le coupable est connu dès le début) que des Cinq dernières minutes et leur coup de théâtre final.

Le lecteur est tenu en haleine par l’investigation de Mortimer tout comme l’intérêt de la célèbre série californienne dépend de l’intelligence du lieutenant à la voiture branlante et à l’imperméable fripé.

Mortimer commence à entrevoir la solution de l’énigme dès la page 18 d’un album qui en compte 70.

Certains propos tenus par Septimus dès la page 10 peuvent le désigner comme le suspect principal. Le suspense est alors lié aux astuces technologiques qu’il déploie pour faire d’Olrik le robot parfait, dont il contrôle le cerveau et qui signe ses crimes à la craie jaune avec la lettre mu entourée d’un cercle.

Le dénouement réside dans l’exposé scientifique de Septimus qui rappelle la conférence finale d’Hercule Poirot dans les romans d’Agatha Christie.

 

La Marque Jaune est un polar à l’anglaise auquel Jacobs ajoute une touche d’épopée de la vengeance (comme dans le roman français d’Alexandre Dumas à Boris Vian) et, surtout, l’ingrédient qui l’apparente à Georges Simenon et Stanislas-André Steeman : l’énigme policière combinée au récit d’atmosphère.

Jacobs dépeint une capitale britannique noyée de pluie et de brouillard. Le Soleil est couché à 16 heures en cette fin d’automne où la neige apparaît à l’approche de Noël. L’heureuse fin de l’aventure coïncide avec la soirée de réveillon.

Le récit de science-fiction est évidemment un autre genre dans lequel se situent les albums de Jacobs, avec en filigrane une interrogation sur les rapports de la science et de l’homme. Celui-ci est au-dessus de celle-là : telle est la conclusion de La Marque Jaune. Compréhensible dans le contexte historique de la victoire des Alliés anglo-saxons, cet humanisme tolère toutefois quelques nuances, si on lit le récit entre les lignes et si on le narre du point de vue du « méchant », c’est-à-dire le docteur Jonathan Septimus.

Septimus ne symbolise pas le Mal absolu. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, il se révèle un irréprochable patriote. Il confesse vers la fin du récit : « Ayant été requis par les services sanitaires de l’armée, j’obtins facilement de faire construire sous ma demeure, ce vaste abri avec sortie de secours sur les égouts, afin d’y installer une ambulance destinée à dégorger les hôpitaux débordés » (p.55).

Ce sont l’orgueil intellectuel et la soif de revanche qui entraînent à sa perte le médecin spécialisé en psychiatrie et en neurologie du cerveau. Le déclic fatal est la rencontre de Septimus et d’Olrik, ce dernier errant dans le désert du Soudan et dans un état proche de la folie après l’épilogue des albums précédents (les 2 tomes du Mystère de la Grande Pyramide). A ce moment-là, Septimus avoue : « J’avais presque oublié les avanies passées » (p.54), ce qui dénote un fond pas totalement mauvais.

L’intrigue de La Marque Jaune, album de la fin des années 1950, nous fait revenir plus de 30 ans en arrière.

En 1922 paraît chez l’éditeur Thornley un ouvrage intitulé The Mega Wave (L’Onde Mega) et signé par un certain Docteur Wade. Derrière Wade se cache en réalité Septimus, jeune chercheur en neurologie publiant le résultat de ses travaux sur le contrôle extérieur du cerveau humain.

Le journaliste Macomber et le professeur Vernay couvrent le livre de ridicule. S’estimant diffamé, Thornley intente un procès aux rédacteurs du Daily Mail et du Lancet. Le juge Calvin dirige les débats. Thornley est débouté. A l’écoute du jugement, il meurt d’une crise cardiaque. Protégé par son pseudonyme, Septimus part au Soudan où un poste de médecin est vacant.

Via des coupures de presse de l’époque, Jacobs fait revivre le drame avec objectivité (p.24). Certes, le livre de Wade est « indéfendable », car « plein de théories fumeuses », mais les plaisanteries de Macomber et Vernay sont qualifiées de « féroces ». Une « réputation d’originalité » est attribuée à Thornley, « l’honorable éditeur ». Ce drame est une « curieuse et pénible histoire » qui plonge « les éditeurs, auteurs et journalistes dans la consternation la plus profonde ».

Revenu d’Afrique avec un Olrik domestiqué, Septimus le manipule d’abord en lui faisant réaliser quelques exploits romanesques (par exemple le vol des joyaux de la Couronne britannique). Une fois son robot ainsi rôdé, Septimus peut s’attaquer à son véritable objectif : les enlèvements de Vernay, Macomber et Calvin. Il simule aussi son propre kidnapping.

Au début du récit (p.10), les quatre hommes rencontrent Blake et Mortimer dans un club typiquement british. Vernay déclare : « Ne prenez pas trop au sérieux nos petites algarades professionnelles, car en dépit de théories avancées, Septimus est un savant de valeur et par surcroît un excellent ami ». (C’est moi qui souligne).

Jacobs sous-entend que le progrès de la recherche ne souffre aucune limite et que ses résultats méritent d’être publiés sans que l’honorabilité éditoriale soit mise en cause et parce que des travaux non conformistes ont le mérite de l’originalité. Jacobs ne condamne que l’orgueil et le désir de vengeance. Son humanisme se combine donc à une apologie de l’audace techno-scientifique. Ce message nuancé est servi par un chef d’œuvre de « littérature dessinée » mêlant le polar classique au récit de science-fiction et au roman d’atmosphère. La Marque Jaune d’Edgar-P.Jacobs illustre parfaitement ce que Jean-Baptiste Baronian a nommé « l’école belge de l’étrange »

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mercredi, 13 octobre 2010

Francis Bergeron: une conférence sur Tintin et Hergé...

Francis Bergeron sera jeudi soir au Local pour donner une conférence sur Tintin et Hergé...

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dimanche, 24 janvier 2010

Striptekenaar Jacques Martin overleden

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Striptekenaar Jacques Martin overleden

Ex: http://www.standaard.be/

De Franse striptekenaar Jacques Martin is op 88-jarige leeftijd overleden. Dat meldt zijn uitgeverij Casterman. Martin raakte vooral bekend als de bedenker van de Gallo-Romeinse held 'Alex'.

Martin was ook bekend van de stripreeks 'Lefranc' en van zijn medewerking aan diverse avonturen in het weekblad 'Kuifje'.

De striptekenaar werd op 25 september 1921 in Straatsburg geboren. Op 25-jarige leeftijd trok Martin naar België. Samen met Hergé en Edgar Pierre Jacobs ('Blake en Mortimer') vormden ze de drie grootste vertegenwoordigers van de zogenaamde "Brusselse school" en de geestelijke vaders van de 'klare lijn'.

In 1948 is Alex voor het eerst te bewonderen in het weekblad Kuifje (met het avontuur 'Alex de Onversaagde'). In datzelfde weekblad kan men in 1952 zijn nieuwe creatie Lefranc bekijken ('Het sein staat op rood').

In 1953 trad hij toe tot de studio Hergé, waar hij 19 jaar lang zal werken aan diverse avonturen van Kuifje. In 1984 schrijft hij de scenario's voor 'Xan/Tristan Madoc' en voor 'Arno'. Recente initiatieven van Martin, tijdens zijn laatste levensjaren nagenoeg blind en veroordeeld het tekenwerk aan anderen over te laten, waren 'Keos' en 'Orion', die zich afspelen in het antieke Griekenland en Egypte, en 'Lois', gesitueerd aan het hof van Lodewijk XIV.

Van de strip 'Alex', avonturen ten tijde van de ook herhaaldelijk in de strip opduikende Julius Caesar, zijn in heel Europa meer dan 20 miljoen exemplaren verkocht.

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samedi, 23 janvier 2010

In memoriam : Jacques Martin

In Memoriam : décès de Jacques Martin, créateur « d’Alix »

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22/01/10 – 11h55
PARIS(NOVOpress) – C’est un monument de la bande dessinée de qualité qui vient de disparaître. En effet, Jacques Martin, créateur d’Alix, vient de s’éteindre en Suisse à l’âge de 88 ans.

Né à Strasbourg (est de la France) en 1921, il avait fait des études aux Arts et Métiers en Belgique, pays où il avait rencontré sa femme Monique et eu leurs deux enfants, Frédérique et Bruno.

L’œuvre de ce passionné d’histoire est colossale et a participé à la découverte de l’Antiquité ou du Moyen-âge (la série « Jhen ») par de nombreux jeunes.
Au total, on comptabilise quelque 120 albums qui se sont vendus à 20 millions d’exemplaires, et ont été traduits en 15 langues.

Ancien collaborateur d’Hergé, il était l’un des derniers « grands classiques » de la bédé franco-belge.

[cc [1]] Novopress.info, 2010, Article libre de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine
[
http://fr.novopress. info [2]]


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samedi, 11 avril 2009

Céline - Hergé, le théorème du perroquet

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Céline – Hergé, le théorème du perroquet

 

 

Dans son dernier ouvrage  intitulé Céline, Hergé et l’affaire Haddock ¹, notre brillantissime ami Émile Brami, nous expose sa théorie sur les origines céliniennes des célèbres jurons du non moins célèbre capitaine. Même s’il ne dispose pas de «  preuves » en tant que telles, l’on ne peut être que troublé par ces faisceaux qui lorgnent tous dans la même direction. En attendant l’hypothétique découverte d’une lettre entre les deux susnommés ou d’un exemplaire de  Bagatelles pour un massacre  dans la bibliothèque Hergé, nous en sommes malheureusement réduits aux conjectures. Pendant la rédaction de son livre, j’indiquais à Émile Brami quelques hypothèses susceptibles de conforter sa thèse. Par exemple, est-ce que le professeur Tournesol et Courtial de Pereires partagent le même géniteur ? etc. C’est un heureux hasard qui me  fit découvrir un autre point commun entre le dessinateur de  Bruxelles et l’ermite de Meudon. Hasard d’autant plus intéressant, qu’à l’instar de Bagatelles pour un massacre, les dates concordent.  Si  les premières  recherches  furent encourageantes, l’on en est également réduit aux hypothèses, faute de preuve matérielle.

    Grâce aux nombreuses publications dont Hergé est l’objet, l’on en sait beaucoup plus sur la genèse de son œuvre. Grâce aux travaux de Benoît Mouchard ², on connaît maintenant le rôle primordial qu’a joué Jacques Van Melkebeke dans les apports « littéraires » de Tintin. Mais surtout les travaux d’Émile Brami ont permis, pour la première fois, de faire un lien entre les deux, et de replacer la naissance du capitaine Haddock et la publication de Bagatelles pour un massacre dans une perspective chronologique et culturelle cohérente. Néanmoins, il n’est pas impossible que d’autres liens entre Céline et Hergé figurent dans certains albums postérieurs du Crabe aux Pinces d’or.

    Le lien le plus « parlant », si l’on ose dire, entre le dessinateur belge et l’imprécateur antisémite est un perroquet, héros bien involontaire des Bijoux de la Castafiore.

 

    Lorsque Hergé entame la rédaction de cet album au début des années 1960, il choisit pour la première (et seule fois) un album intimiste. Coincé entre Tintin au Tibet et Vol 714 pour Sydney, Les Bijoux de la Castafiore a pour cadre exclusif le château de Moulinsart. Tintin, Milou, Tournesol et le capitaine Haddock ne partent pas à l’aventure dans une contrée lointaine, c’est l’aventure qui débarque (en masse) chez eux. Et visiblement, l’arrivée de la Castafiore perturbe le train-train habituel de nos héros. Les Bijoux de la Castafiore offre également l’intérêt d’être un album très « lourd » du point de vue autobiographique, avec des rapports ambigus entre la Castafiore et Haddock (projets de mariage), des dialogues emplis de sous-entendus (« Ciel mes bijoux ») et, au final, bien peu de rebondissements et d’action. Néanmoins, au milieu de ce joyeux bazar, émerge un élément comique qui va mener la vie dure au vieux capitaine. C’est Coco le « perroquet des îles », qui partage de nombreux points communs avec Toto, le non moins célèbre perroquet de Meudon.

 

    Tout d’abord, il y a l’amour que Hergé et Céline portent aux animaux. L’œuvre d’Hergé est truffée de références au monde animal ; quant à Céline, il transformera son pavillon de Meudon en quasi arche de Noé… Mais revenons aux deux psittacidés. Dans les deux cas, les perroquets sont offerts par des femmes. Lucette achète le sien sur les quais de la Mégisserie. La Castafiore destine « cette petite chose pour le capitaine Koddack ». Dans les deux cas, Céline et Haddock ne sont pas particulièrement ravis de voir arriver l’animal dans leur demeure. Mais au final, ils finissent par s’y faire, voire s’en réjouissent. Céline fait de son perroquet un compagnon d’écriture, le capitaine Haddock s’en sert pour jouer un mauvais tour à la Castafiore. Autre élément commun, les deux perroquets portent presque le même nom ; « Toto » pour celui de Céline, et « Coco » (avec un C comme Céline ?) pour celui de Haddock. Certes, ce n’est pas d’une folle originalité, mais bon… Détail intéressant, les deux espèces sont différentes. Lucette rapporte à Meudon un perroquet gris du Gabon (Psittacus erithacus, communément appelé « Jaco » ³). La Castafiore offre un perroquet tropical (Ara ararauna 4). Autre détail intéressant, dans les deux cas, les perroquets parlent. Céline apprend au sien quelques mots, et même un couplet de chanson. Celui de Haddock se contente de répéter des phrases. Or de ces deux perroquets, le seul qui a la capacité de retenir quelques mots, et de parler, est bel est bien le perroquet gris du Gabon. Le perroquet tropical peut reproduire des sons (téléphone, moteur de voiture, etc.) mais il ne possède pas les capacités vocales que lui prête Hergé. Est-ce une erreur délibérée ? Est-ce que la documentation d’Hergé était défaillante ? Est-ce dû à l’ajout précipité du perroquet dans Les Bijoux de la Castafiore ? Cette dernière hypothèse a notre préférence.

 

    L’autre élément qui accrédite l’hypothèse du perroquet est chronologique. La conception des Bijoux de la Castafiore et la mort de Céline sont concomitantes. Alors qu’Hergé est en train de construire l’album, Céline décède, en juillet 1961. Si peu de journaux ont fait grand cas de cette nouvelle, Paris-Match évoquera, dans un numéro en juillet et un autre, en septembre 1961, la disparition de Céline (et d’Hemingway, mort le même jour). Largement illustrés de photographies, deux thèmes récurrents se retrouvent d’un numéro l’autre : Céline et son perroquet Toto. Dans son numéro de juin, Paris Match s’extasie devant la table de travail de Céline sur laquelle veille le perroquet, dernier témoin (presque muet) de la rédaction de Rigodon... Dans le numéro de septembre, l’on peut voir la photographie de Céline dans son canapé, avec Toto, ultime compagnon de solitude.

    Grâce aux biographes d’Hergé, on sait que ce dernier ne lisait pour ainsi dire jamais de livres. Quand il s’agissait de ses albums, il demandait à ses collaborateurs de préparer une documentation importante afin qu’il n’ait plus qu’à se concentrer sur le scénario et le dessin. Éventuellement, il lui arrivait de rencontrer des personnes idoines qu’il interrogeait sur un sujet qui toucherait de près ou de loin un aspect de ses futurs albums (Bernard Heuvelmans, pour le Yéti, par exemple…). Si Hergé lisait peu de livres, on sait, par contre, qu’il était friand de magazines 5 et qu’il puisait une partie de son inspiration dans l’actualité du moment. La grande question est : a-t-il eu dans les mains les numéros de Paris-Match relatant la mort de Céline ? C’est hautement probable car l’on sait qu’il lisait très régulièrement ce magazine. S’en est-il servi pour Les Bijoux de la Castafiore ? Pour cela, il suffit de comparer la photographie de Céline dans son canapé à Meudon, à celle de Haddock dans son fauteuil, à Moulinsart. La comparaison est probante.

 

    En voyant ainsi Céline et son perroquet dans Paris-Match, Hergé s’est-il souvenu des conversations qu’il avait eu autrefois à ce sujet avec Melkebeke ou Robert Poulet ? A-t-il admiré autrefois Céline, non pas forcément comme écrivain, mais comme « idéologue » antisémite ? A-t-il décidé de faire un petit clin d’œil discret au disparu en reprenant son fidèle perroquet ? Malheureusement, il est encore impossible de répondre. Lentement, les éditions Moulinsart ouvrent les « archives Hergé » en publiant chaque année un important  volume  chronologique sur la genèse des différentes œuvres du dessinateur. À ce jour, ces publications courent jusqu’aux années 1943, et il faudra attendre un petit peu pour en savoir plus sur la genèse des Bijoux de la Castafiore et de son célèbre perroquet.

   Reste néanmoins un élément troublant. Dans son livre, Le Monde d’Hergé 6, Benoît Peeters publie la planche qui annonce la publication des Bijoux de la Castafiore dans les prochaines livraisons du Journal de Tintin. Sur cette planche apparaissent tous les protagonistes du futur album, Tintin, Haddock , les Dupond(t)s, Tournesol, Nestor, la Castafiore, Irma, Milou, le chat, l’alouette, les romanichels, etc. Mais point de perroquet, qui pourtant a une place beaucoup plus importante que certains protagonistes précédemment cités. Hergé a-t-il rajouté Coco en catastrophe ? Coco était-il prévu dans le scénario d’origine ? Pourquoi Hergé fait-il parler un perroquet qui ne le pouvait pas ? Erreur due à la précipitation ? Ou à une mauvaise documentation ? Est-ce la vision de Céline et de son compagnon à plumes qui ont influencé in extremis cette décision en cours de création ? Détail intéressant, dans ses derniers entretiens avec Benoît Peeters, Hergé avoue qu’il aime se laisser surprendre : « J’ai besoin d’être surpris par mes propres inventions. D’ailleurs, mes histoires se font toujours de cette manière. Je sais toujours d’où je pars, je sais à peu près où je veux arriver, mais le chemin que je vais prendre dépend de ma fantaisie du moment » 7. Coco est-il le fruit de cette « surprise » ? À ce jour, le mystère reste entier, mais peut-être que les publications futures nous éclaireront sur ce point… Il serait temps ! Mille sabords !

 

David ALLIOT

 

1. Éditions Écriture. Les travaux d’Émile Brami sur Hergé et Céline ont été présentés au colloque de la Société d’Études céliniennes de juin 2004 à Budapest, et  partiellement publiés par le magazine Lire de septembre 2004.

2. Benoît Mouchart, À l’ombre de la ligne claire, Jacques Van Melkebeke le clandestin de la B. D., Vertige Graphic, Paris, 2002.

3. Il est amusant de noter que ce perroquet est relativement courant dans les forêts du golfe de Guinée, et que sa répartition s’étend de l’Angola jusqu’à en Sierra Leone. Peut-être que le jeune Louis-Ferdinand Destouches en vit-il quelques-uns lors de son séjour au Cameroun…

4. Originaire d’Amérique du Sud, ce perroquet ne vient nullement « des îles », comme l’indique la Castafiore.

5. Hasard ? Les Bijoux de la Castafiore évoque justement le poids grandissant des médias dans la société.

6. Benoît Peeters, Le Monde d’Hergé, Casterman, 1983.

7. In Le Monde d’Hergé, entretien du 15 décembre 1982. Cité également par Émile Brami, p. 73.